
Le port de Rotterdam a confié à l'institut de recherche et de conseil CE Delft une étude portant sur l’impact, pour les ports maritimes de l’UE, de l’intégration de la ligne régulière dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission. Les différentes études de cas indiquent qu’un transfert vers un autre port maritime hors de l’UE s’avère très souvent bien plus intéressant et qu’il est donc possible de contourner le système en modifiant l’itinéraire.
« De tels comportements d'évasion pourraient avoir un impact sur la position concurrentielle des ports maritimes européens et compromettre les objectifs de réduction des émissions du transport maritime », estime CE Delft à l’issue de l’évaluation qu’il a menée pour le compte du port de Rotterdam. Le port néerlandais a chargé le consultant de plancher sur plusieurs études de cas en vue d’évaluer les impacts de l’intégration du transport maritime dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE) sur la fréquentation des ports des États membres de l’Union européenne.
La Commission européenne a présenté en juillet 2021 le paquet législatif baptisé « Fit for 55 », son plan d’attaque transversal sur la réglementation du climat visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Dans ce cadre, elle envisage notamment d’inclure les émissions des navires dans le SCEQE. Dans la version actuelle de la proposition politique, les émissions des navires de 5 000 de jauge brute et plus seraient concernées, à 100 % pour celles émises entre les ports de l'UE et à 50 % des ports européens vers un autre hors de l’UE.
Quatre principales études de cas
L’analyse de CE Delft est essentiellement basée sur l’étude de plusieurs scénarios dit « d'évasion portuaire potentielle », imaginant par exemple l’ajout d’une escale supplémentaire en dehors de l'union ou une modification du programme des escales de sorte qu'un port proche de l'espace européen soit le premier desservi ou encore la suppression de tout ou partie des escales européennes et de les desservir à partir d’un port hors de l’UE.
Trois autres situations ont été considérées (mais pas analysées dans le détail) – un transfert modal vers des modes de transport qui n'entrent pas dans le champ d'application du SCEQE, l'utilisation de navires en dessous du seuil des 5000 GT et enfin, des porte-conteneurs plus économes en carburant pour les trajets intra-UE, tout en utilisant des unités plus polluantes en dehors de l'UE.
Pour chacune des configurations, les coûts et les avantages ont été estimés. « La probabilité que l'évitement ait un avantage net pour la compagnie maritime est plus grande lorsque le prix des quotas d'émission est plus élevé mais les coûts afférents au détournement (droits de port, manutention..) et de transbordement sont plus faibles », indique l’étude, qui s’est polarisée sur les porte-conteneurs. Étant donné qu'une escale n'est reconnue comme le début d'un nouveau voyage que lorsque la cargaison est chargée ou déchargée, l'ajout d'une escale est plus coûteux pour les marchandises transportées en vrac qu’à l’unité, justifient les auteurs.
Résultats des principaux scénarios
Dans le cas de l’ajout d'un port supplémentaire en proximité mais hors de l’Union, comme Felixstowe ou Tanger par exemple, les quotas d'émission doivent être restitués pour 50 % des émissions de ces voyages. L’intégration d’un port non européen peut dans cette situation réduire les émissions SCEQE et donc diminuer les coûts de mise en conformité.
Dans le scénario d’une modification du programme pour faire en sorte qu'un port proche de l'UE soit le premier port touché, « aucun coût SCEQE n'est payé pour le long trajet entre la destination éloignée et l'UE. »
Si certains ports de l'UE sont supprimés du programme et approvisionnés à partir d'un port de l'UE, « toutes les émissions produites lors de voyages étant incluses, les coûts de mise en conformité peuvent être réduits », répondent les auteurs. « Prenons l’exemple d'un porte-conteneurs de 20 000 EVP voyageant entre trois ports européens différents [par rapport au même navire ne visitant qu'un seul port, à partir duquel les deux autres ports sont desservis par des feeders, NDLR], les coûts du SCEQE sont moins élevés en raison de la moindre consommation de carburant par km même si d'autres frais seront plus élevés, car les conteneurs doivent être transbordés et sollicitent pour cela d’autres navires ».
Enfin, si aucun port européen n’est desservi mais alimenté à partir d'un autre en dehors de l’Europe, les coûts de mise en conformité peuvent être réduits. « Si un 20 000 EVP transite entre deux ports différents de l'UE et un port britannique, par opposition à une situation où il ne visiterait que le port britannique, à partir duquel les deux autres ports seraient desservis par feeders, les coûts du SCEQE sont plus faibles, car la consommation de carburant de ces feeders par km est plus faible », assure le rapport.
Il indique en outre que lorsqu'un port supplémentaire, tel que Felixstowe au Royaume-Uni, est ajouté à un service Chine-Europe, il existe potentiellement 18 scénarios dans lesquels le transfert vers un port hors UE peut être intéressant. C'est déjà le cas avec un prix moyen du SCEQE de 67 €. Dans le cas d'une bascule, pour exemple, d'Algésiras, en Espagne, à Tanger, au Maroc, le déroutement est rentable dans 27 des 36 cas étudiés.
Des limites
Pour autant, rassure CE Delft, le phénomène sera limité car « toutes les marchandises destinées à l'UE devront toujours être déchargées dans les ports maritimes européens. Les comportements d'évasion affecteront donc surtout les activités de transbordement dans les ports maritimes européens. Les contraintes opérationnelles ou les limites de capacité dans les ports non européens pourraient réduire davantage le risque à court terme. »
Des parades à l’évasion
Pour le port de Rotterdam, « la meilleure façon de réduire les risques est de veiller à ce que des mesures similaires fondées sur le marché soient mises en œuvre au niveau de l'OMI ou dans les pays proches de l'UE ».
Raison pour laquelle il sollicite une vaste étude d'impact pour les ports européens avant d'inclure le transport maritime dans le système européen d'échange de quotas. « Ce n'est que si le transport maritime paie réellement pour la pollution qu'il cause que l'on pourra parvenir à un transport maritime plus durable », rappelle l’autorité portuaire.
A.D.