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La Banque mondiale a publié une première estimation du coût des dommages générés par l'explosion du 4 août dans le port de Beyrouth, qui a soufflé une partie des installations portuaires et du front de mer de la ville, des quartiers résidentiels, des zones d'entreposage, le principal silo à grains du pays et neuf hôpitaux. Le chiffre s’élève à plusieurs milliards de dollars.

Le 4 août 2020, l’explosion qui a secoué le port de la capitale libanaise a ravagé une partie de la ville dans un rayon de 5 km de l’épicentre, infligeant de graves dommages aux zones résidentielles et commerciales de ces quartiers densément peuplés. Dimanche 30 août, le bilan officiel de l'explosion faisait état de 190 morts, alors que trois personnes étaient toujours portées disparues, de 6 500  blessés et 300 000 personnes déplacées. Au-delà de l’aspect humain, l'explosion a eu un impact économique notable sur l’ensemble du pays, indique la Banque mondiale, reflétant la densité de l’activité économique dans les zones touchées mais aussi le fait que le port de Beyrouth est le principal point d’entrée et de sortie du Liban. Il canalise en effet 68 % (moyenne entre 2011-2018) du total des échanges extérieurs du pays et stocke notamment les réserves de céréales du Liban.

Beyrouth : une logistique internationale et un coût

Une ardoise entre 5 et 8 Md$ en dommages matériels et pertes d’activité

Dans son évaluation portant sur 16 secteurs macroéconomiques dans la zone d’impact, la Banque mondiale distingue les pertes d’activité économique en PIB, recettes budgétaires, hausse de l’inflation et de la pauvreté et échanges commerciaux, ces derniers se traduisant par une augmentation des coûts de transaction du commerce extérieur et des restrictions dans les importations.

Ses premières conclusions indiquent que les dommages matériels pourraient coûter au pays de 3,8 à 4,6 Md$, les logements et biens du patrimoine culturel étant les plus durement atteints. Les pertes de flux économiques ont été évaluées par l’institution mondiale entre 2,9 et 3,5 Md$. Les besoins de reconstruction, pour ce qui relève de l’urgence, sont estimés entre 1,8 et 2,2 Md$ pour 2020 et 2021, les transports en tête.

Le terminal à conteneurs de Beyrouth a repris le service

Sept pertes de navires

Dans l’enceinte portuaire, l'équipe de la Banque mondiale a répertorié sept pertes de navires ainsi que de nombreuses infrastructures endommagées, pour des dégâts estimés à 700 M$. Le silo à grains de 120 000 t, qui contenait 15 000 t de céréales, a été soufflé, tout comme les 200 m de quais, des canaux de navigation et des postes d'amarrage, les bâtiments des Douanes et du ministère de l'Agriculture ; des entrepôts d'une superficie totale d'environ 160 000 m2 ; des équipements de manutention des cargaisons ; 373 conteneurs pleins ; 10 à 15 % des conteneurs vides et les installations sanitaires et phytosanitaires du port.

Le terminal utilisé pour les marchandises diverses a été gravement endommagé ; en revanche, le terminal à conteneurs n’a été qu’à peine touché, à l’exception des bâtiments administratifs, de stocks de pièces détachées et de l’entrepôt de maintenance selon les premières inspections du Beirut Container Terminal Consortium (BCTC). Il a été rapidement opérationnel, accueillant deux navires une semaine seulement après l’explosion.

Au total, les dommages préliminaires subis par les transports terrestres (40 bus sur les 50 exploités par l’Autorité des chemins de fer et des transports publics ; 430 véhicules publics et privés à l’intérieur et à l’extérieur du port, des km de routes) et maritimes se, situent entre 280 et 345 M$. À ce niveau, les besoins pour la reconstruction sont estimés entre 425 et 520 M$.

Refonte totale 

« Il faut trouver un juste équilibre entre les travaux d’urgence nécessaires pour les importations vitales du Liban et la possibilité qu’offre cette crise pour reconstruire en mieux le système portuaire libanais », préconise la Banque mondiale. Elle priorise à court terme une infrastructure minimale dans le port de Tripoli et à Beyrouth pour assurer la manutention des céréales importées et la remise en état des bâtiments et des laboratoires d’essai. À moyen et long terme, « tout appui aux efforts de reconstruction et d’aménagement du port devrait être précédé d’un ensemble de réformes structurelles dans le secteur portuaire, les douanes et la facilitation du commerce ».

La Banque mondiale évoque une « législation sectorielle fondée sur les principes régissant les ports propriétaires », en ouvrant notamment les opérations au secteur privé et en définissant clairement les opérations de l’administration portuaire. « La communauté portuaire jouerait un rôle officiel dans la gestion et l’administration. La stratégie nationale pour les ports et les couloirs au Liban doit être assortie d’un plan de financement destiné à assurer un juste équilibre entre les investissements publics et privés. »

90 % des entreprises manufacturières touchées dans un rayon de 3 km

Pour « reconstruire en mieux », la banque mondiale recommande par ailleurs de revoir le choix du site et la taille du port de Beyrouth et de rééquilibrer les rôles et les investissements à Tripoli et à Sidon et dans d’autres infrastructures de logistique telles que les cales sèches et le réseau ferroviaire. « Cela permettrait aussi de réaliser des opérations de promotion immobilière sur un domaine public de grande valeur. »

En dégâts collatéraux pour le port, ceux occasionnés au secteur industriel sont évalués entre 105 et 125 M$ pour les dommages et entre 285 et 345 M$ pour la perte d’activité. En valeur relative, plus de 90 % de toutes les moyennes et grandes entreprises manufacturières exerçant leur activité dans un rayon de 3 km autour du site de l’explosion ont été endommagées, avec en sus une perte importante des marchandises stockées dans le port et sur place.

Une attente fort, un signal faible

Pour « reconstruire le Liban en mieux », l'équipe de la Banque mondiale appelle à des réformes institutionnelles à tous les étages. En attendant, les Libanais, et en particulier les plus vulnérables d’entre eux, paient un lourd tribut aux crises qui traversent le Liban depuis plusieurs années. Les ravages causés par le désespoir et la résignation à l’égard d’un système politique et économique dont la légitimité est de plus en plus contestée sont plus difficilement estimables, signifie l’institution.

Les principaux dirigeants politiques du Liban (à l'exception de son président) ont démissionné en cascade dans les semaines qui ont suivi l'explosion, mais tous les ministres sortants ont continué à exercer leurs fonctions à titre intérimaire. Le 31 août, le diplomate Mustapha Adib a été désigné comme nouveau premier ministre quelques heures avant qu’Emmanuel Macron n’arrive à Beyrouth.

Chargé de former un nouveau gouvernement, il s’est engagé à composer un cabinet d'experts plutôt que de politiciens. Il soutient également les négociations avec le FMI, qui exige une réforme profonde du système bancaire et des finances de la nation, selon les médias.

Le nouveau premier ministre, âgé de 48 ans, est issu de la communauté sunnite et fut le chef de cabinet de Najib Miqati, homme d’affaires milliardaire de Tripoli, deux fois chef du gouvernement, en 2005 puis de 2011 à 2013.

Adeline Descamps

 

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